Hospitalisé depuis six semaines, l'état de mon père s'était dégradé à tel point que le 12 septembre 1990 au soir, il était mourant.
Son état était devenu pitoyable. Il gisait sur son lit, squelettique, prostré, défait, incontinent, presque nu dans ses émonctoires. A force d'être tombé du lit dans les jours précédents, son corps était, des pieds à la tête, couvert d'ecchymoses. Après s'être un instant agité comme s'il avait cherché à s' agripper à un objet imaginaire - ces mouvements sont dits "carphologiques" et précèdent de peu la mort - le malade sombra dans le coma.
Ma soeur me dit :
- Toi qui est médecin, tu ne peux vraiment rien faire ?
J'étais certain qu'il ne souffrait pas, comme ses médecins avaient voulu me faire croire, ni d'une démence sénile,ni d'une "encéphalopathie vasculaire" (sic) des diagnostics fourre-tout, et encore moins d'une tumeur cérébro-spinale de type gliale, ne serait-ce que parce que le test de Schilling, qui se pratique en recourant à une dose déjà thérapeutique de la vitamine B12 avait non pas aggravé son état mais l'avais l'espace de quelques jours amélioré.
J'ai dit à ma soeur : << Cette histoire "d'hydrome sous-tentoriel" (sic) pour lequel un rendez-vous d' I.R.M. a été pris ne tient pas debout, et il n'a certainement pas la maladie de la vache folle. Il y a tout simplement qu'il ne reçoit pas le traitement qu'il faudrait (au lieu de le lui administrer le traitement de la maladie de Biermer, seulement un faix semblant destiné à me faire croire qu'il le prenait et donc que l'aggravation de son état était dû à la maladie d'Alzheimer et d'une encéphalopathie vasculaire, voire d'une tumeur cérébro-spinale !). C'est pour ça qu' au lieu d'aller mieux, il va de plus en plus mal. Je suis sûr de ce que je dis, j'ai été invité par une infirmière à vérifier le traitement qu'il reçoit sur le cahier de prescription ! On n'a jusqu'ici fait que semblant de le soigner, tout comme on essaie de me faire croire qu'il a une tumeur cérébrale. Il n' a pas plus de T.C. qu'un Alzheimer ou un Creutzfeld-Jakob ! >>
Je fis un un rapide examen neurologique et lui dis :
<< Il ne voit plus clair. Regarde ses yeux, les pupilles sont complètement dilatées. Elles ne réagissent pas à la lumière quand je les éclaire. Il y a une toute petite chance de le sauver. Si on ne fait rien tout de suite, demain il sera mort. Il n' est plus temps d'attendre jusqu'au 24 septembre le rendez-vous d 'I.R.M. cérébrale, ni même quelques heures de plus. Je veux bien faire le nécessaire, mais il ne faudra rien me reprocher si ça ne réussit pas. S' il meurt cette nuit, comme c'est malheureusement à craindre, j'y serai pour rien. J'ai tout juste le temps de courir à la pharmacie chercher ce qu'il lui faut avant qu'elle ne ferme pour le lui administrer.
- Je te promets de ne jamais t'accuser de l'avoir tué s'il meurt cette nuit.
- Il faut aussi me promettre de m'aider après, parce que même si j' arrive à redresser la situation, ça va être très dur ! Il faudra après que tu m'aides !
- Je te promets …. Je t'aiderai.
Il était 19 heures 15. Je n'avais plus temps de discuter. J' ai dû courir au plus vite à la pharmacie la plus proche, sise à Vitry/Seine me procurer pour 9 francs et quelques centimes une boite de 6 ampoules de cyanocobalamine, plus 3 francs de seringues ….. Vers 19 h 45 j''ai administré à mon père la moitié du coffret, soit 3 milligrammes de cyanocobalamine, un milligramme per os et deux milligrammes intramusculaire.
Epilogue : Craignant le pire, je restais une longue partie de la soirée auprès du malade. Je repassais le lendemain matin vers six heures. Mon père était encore en vie. Il y avait même un léger mieux. La mydriase n' était plus aussi complète. Un soupçon d' iris était perceptible à l'orée de la pupille. Le lendemain soir, j'administrais les 3 ampoules restantes. Un mois plus tard, après avoir reçu en intramusculaire 20 mg de ce traitement étiologique, mon père pouvait se tenir debout sans tomber, et même refaire tout seul son lit, à la satisfaction et à la stupéfaction des infirmières, mais pas à celles du Chef de Service. Bien que le malade n'ait pas encore récupérer le contrôle de ses sphincters - il ne les récupérera, et une fois pour toutes, que le 17 octobre 1990 - il fut sans ménagement renvoyé chez lui le 12 octobre.
Pour comble, dans les jours qui suivirent, l'hôpital fit parvenir une note d'hospitalisation salée au domicile de son ex-patient. Il n' était même pas tenu compte de la prise en charge à 100 %, à laquelle il avait automatiquement droit.
Deux mois après sa sortie d'hôpital, mon père avait regagné la quasi totalité de ses capacités intellectuelles (elles furent objectivées à 30/30 au MMSE en février 1991).
Fortement handicapé, diminué dans son autonomie en raison de parésies résiduelles au niveau des mains et des jambes, le 17 décembre 1990 mon père porta plainte auprès du procureur de Créteil pour escroquerie, mise en danger de la vie et non assistance à personne en péril, non contre les neurologues, car il était alors encore persuadé que c' était non à moi, mais aux neurologues qu'il devait d'être resté en vie, mais contre les médecins de la Clinique qui l'avaient abusé précédemment à son hospitalisation à Bicêtre.
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